Chomsky gave us the sentence: COLOURLESS GREEN IDEAS SLEEP FURIOUSLY as a sentence which was grammatically correct but did not have any meaning for us.
Yet now we do have ‘green ideas’ … how long before the rest of the sentence becomes meaningful.?
Personal thoughts on travel, politics, culture, language, today's life etc mainly in Africa
Chomsky gave us the sentence: COLOURLESS GREEN IDEAS SLEEP FURIOUSLY as a sentence which was grammatically correct but did not have any meaning for us.
Yet now we do have ‘green ideas’ … how long before the rest of the sentence becomes meaningful.?
A fascinating article by a friend and former colleague Hervé Cheuzeville, author of 'Kadogo', a book about Child Soldiers. A certain point in history in Africa linked to a bridge in Lyon.
And how many British soldiers have at least half a bridge named after them in France? And how many Frenchmen have a bridge in Britain (though there's an Empress road … in Farnborough).
Chronique n° 26
La poubelle de l'Histoire
Lyon, l'ancienne capitale des Gaules, est traversée par deux cours d'eau qui s'y rejoignent, le Rhône et la Saône. En ce dernier jour d'octobre 2009, je déambulais dans les vieilles rues de la presqu'île formée par le confluent. Le ciel était bas, la basilique disparaissait dans la brume, au sommet de la colline de Fourvière. Cette promenade solitaire m'amena sur la rive de la Saône, bordée de saules pleureurs dont les branches frôlaient nonchalamment la surface de l'eau. Je m'arrêtais un instant pour contempler un pont qui enjambait le large cours d'eau. À son entrée, j'aperçus une grosse poubelle urbaine, en plastique gris, fermée par un couvercle vert. Elle cachait partiellement une inscription sur le parapet. Ma curiosité éveillée, je m'approchais davantage, afin de tenter de lire ce qui y était gravé, en regardant derrière la poubelle. Ce que je lus fit soudain refluer en moi de nombreux souvenirs enfouis au plus profond de ma mémoire. Mémoire « collective » de Français, d'abord, mais aussi mémoire personnelle. Voici ce que je parvins à déchiffrer, non sans difficulté, sur la plaque de marbre blanc:
PONT KITCHENER – MARCHAND
LE 11 NOVEMBRE 1955
LE NOM DE MARCHAND A ETE AJOUTE A CELUI DE KITCHENER EN RECONNAISSANCE AUX DEUX GRANDS SOLDATS QUI LORS DE LEUR
RENCONTRE A FACHODA EN SEPTEMBRE 1898 ONT SU PAR LEUR HAUT ESPRIT CHEVALRESQUE EPARGNER LA GUERRE AUX
DEUX PEUPLES
EN PRESENCE DE
MONSIEUR EDOUARD HERRIOT MAIRE DE LYON PRESIDENT D'HONNEUR DE L'ASSEMBLEE NATIONALE
ET DE
SIR ROBERT PARR CONSUL GENERAL DE SA MAJESTE BRITANNIQUE
Fachoda.... Nom ô combien mythique pour plusieurs générations de Français. Symbole du désir de grandeur de la France et de l'humiliation infligée par une grande nation rivale, dans la course à l'accaparement de nouveaux territoires africains. Fachoda, lieu que peu de Français seraient capables de situer sur une carte, mais où deux impérialismes conquérants se rencontrèrent, en cette fin de XIX ͤ siècle et où ils faillirent s'affronter. Fachoda, localité que je devais un jour découvrir en remontant le Nil.
Horatio Herbert Kitchener[1], grand nom de la fierté britannique retrouvée. Ce célèbre général sut venger la honte de la chute de Khartoum. Quinze années auparavant, le 25 janvier 1885, le général Charles Gordon y fut tué puis décapité par les hommes de Muhammad Ahmad ibn Abdallah dit le « Mahdi », mystique soudanais, après un siège qui avait duré plusieurs mois. Cette mort ignominieuse, cette défaite infligée par des hordes de Soudanais dépenaillés furent vécues comme une humiliation nationale par le peuple anglais. En 1896, le général Kitchener prit la tête d'une vaste armée anglo-égyptienne pour lui faire remonter lentement le cours du Nil, vers la Nubie, vers le Soudan. Cette marche vers le sud fut tellement lente que Kitchener eut le temps de faire construire une voie ferrée qui permit d'acheminer le matériel et la nourriture nécessaires à ses troupes. Le 2 septembre 1898, cette armée défit à Omdurman, la capitale mahdiste, les forces des successeurs du Mahdi, ce qui permit de hisser à nouveau l'Union Jack à Khartoum et de venger ainsi l'honneur britannique bafoué.
Jean-Baptiste Marchand[2], ce seul nom d'un modeste commandant de l'armée française suffisait à faire vibrer la fibre patriotique des Français à la fin du XIXᵉ siècle. Ce patriotisme avait été mis à mal lors du désastre de Sedan, en 1870, suivi par la perte de trois départements alsaciens et lorrain. À la suite de ce désastre national, les jeunes Français avaient baigné, à l'école laïque et républicaine, dans une ambiance nationaliste exacerbée, le regard tourné vers la « ligne bleue des Vosges », nouvelle frontière jamais acceptée, séparant la France de ses territoires perdus. Le nom de Marchand symbolise également l'aventure coloniale française, aux côtés de ceux de Faidherbe[3], de Savorgnan de Brazza[4], d'Auguste Pavie[5] et de bien d'autres encore. En 1896, alors capitaine, Marchand reçut le commandement de la mission Congo-Nil. Car la France avait alors pour ambition de relier ses territoires de l'Ouest et du Centre de l'Afrique à celui de Djibouti, à l'est. Ce rêve impérial ne pouvait qu'entrer en collision avec celui, tout aussi démesuré, des Britanniques, qui était de dominer l'Afrique de l'Égypte, au nord, jusqu'au Cap, au sud. Cette confrontation eut finalement lieu au bord du Nil blanc, à Fachoda, et elle eut pour protagonistes principaux Marchand et Kitchener.
La mission Congo-Nil fut mandatée par le gouvernement de Félix Faure. Elle partit de Loango, un poste français sur le littoral atlantique du Congo, le 24 juillet 1896. Elle était composée de 13 officiers et sous-officiers français et de 175 tirailleurs sénégalais. Parmi les officiers, en plus de Marchand, il convient de mentionner le nom du lieutenant Charles Mangin[6], futur général qui devait s'illustrer et jouer un grand rôle durant la Première Guerre Mondiale. Il faut aussi rappeler le souvenir du médecin major Jules Emily[7], Corse né à Olmeto et auteur d'un journal de route relatant l'expédition. La petite troupe remonta le fleuve Congo à bord d'un bateau à vapeur, le « Faidherbe », qu'il fallut ensuite démonter et transporter à dos d'hommes en pièces détachées afin de traverser la ligne de partage des eaux entre le bassin du Congo et celui du Nil. En outre, on dut acheminer 600 tonnes de matériel, dont 70 000 mètres de textile, 16 tonnes de perles vénitiennes et 3000 bouteilles de champagne. La colonne Marchand traversa la grande forêt équatoriale au prix de difficultés innombrables. Après avoir remonté le petit vapeur, elle descendit le Bahr-el-Ghazal[8], affluent du Nil Blanc. Au passage, les Français créèrent un poste militaire qui devait devenir la ville de Wau, dans l'actuel Sud Soudan. L'expédition parvint à traverser le Sudd, le plus grand marécage du monde, avant d'atteindre, enfin, Fachoda, sur le Nil Blanc, le 10 juillet 1898, deux ans après avoir quitté Loango. À l'arrivée, ils n'étaient plus que 8 officiers et sous officiers et 120 tirailleurs. Ils avaient parcouru 5500 kilomètres. Le roi des Shilluk, une importante tribu nilotique peuplant la région, résidait dans cette localité de Fachoda, et Marchand entreprit des négociations avec lui. Elles aboutirent à la signature d'un traité de protectorat. Les Français consolidèrent leur position dans un fortin, qui existe encore et que je devais découvrir 91 années plus tard.
De son côté, après sa victoire d'Omdourman, le général Kitchener reçut l'ordre du premier ministre britannique Lord Salisbury de remonter le Nil Blanc[9], à la tête de son armée anglo-égyptienne. Les ordres étaient clairs: Kitchener devait s'opposer à toute tentative d'intrusion étrangère dans le Haut-Nil. Le 18 septembre, sa flottille arriva en vue du fort de Fachoda, sur lequel il vit flotter le drapeau tricolore. 20 000 Égyptiens et Britanniques allaient faire face à 8 Français et à 120 tirailleurs sénégalais! Le capitaine Marchand se rendit à bord du « Dal », la canonnière de Kitchener, le matin de l'arrivée de ce dernier. Dans l'après-midi, ce fut le général anglais qui se rendit au fort, où il passa en revue la petite troupe française. Marchand fit ouvrir l'une des bouteilles de champagne en son honneur. Mais, au-delà de l'exquise politesse des deux officiers et du respect apparent qu'ils se témoignaient mutuellement, c'était un dangereux bras de fer diplomatique qui était en train de s'engager. Kitchener exigea l'évacuation de Fachoda par les Français, ce que Marchand refusa aussitôt. Face à cette situation bloquée, chacun en référera à son gouvernement, avec les difficultés de communication que l'on peut imaginer. À Paris, le gouvernement qui avait mandaté Marchand n'était plus celui qui était aux affaires lors de la crise. Fachoda semblait bien loin aux politiciens français, qui se déchiraient entre dreyfusards et anti-dreyfusards. Cependant, cette affaire contribua à exacerber encore un peu plus la fièvre nationaliste ambiante. La même fièvre agitait également le peuple anglais, d'autant que le jubilé de la reine Victoria avait été célébré avec un grand faste l'année précédente. Le ministre des affaires étrangères français, Théophile Delcassé, tenta malgré tout de négocier avec le gouvernement britannique, par ambassadeur interposé[10]. Mais il se heurta à l'intransigeance de Lord Salisbury, qui exigeait le départ immédiat des Français de Fachoda. Sans doute pour soutenir le point de vue du premier ministre de Sa Gracieuse Majesté, la Royal Navy effectua des manœuvres au large de Brest et de Bizerte. Le chancelier allemand Bismarck, de son côté, suivait l'évolution de la situation avec un intérêt certain, n'hésitant pas à déclarer que celle-ci allait devenir « intéressante »! Finalement, le 3 novembre, Delcassé informa Lord Salisbury que Fachoda serait évacué, et un ordre en ce sens fut envoyé à Marchand, nommé commandant par la même occasion. La « Perfide Albion » l'avait donc emporté, et l'affaire fut vécue, en France, comme une humiliation nationale. L'année suivante, un accord devait être signé entre les deux gouvernements, confirmant que la France renonçait à toute ambition dans la vallée du Nil. Cet accord fixait la frontière africaine des deux empires à la ligne de partage des eaux entre le bassin du Nil et celui des affluents du lac Tchad. Cependant, le commandant Marchand refusa de prendre le même chemin qu'à l'aller, comme un vaincu. Il ne voulait pas non plus rentrer par le Nil et l'Égypte, pour ne rien devoir aux Britanniques. Il quitta Fachoda le 11 décembre pour poursuivre son aventure vers l'est. Il devait déclarer « Je préférai, pour l'histoire de France, revenir par l'Abyssinie et Djibouti ». Il pénétra donc en Abyssinie, où il fut reçu par le Négus avec tous les honneurs. De là, il gagna Djibouti, sur la Côte Française des Somalis, territoire français, où lui et ses hommes arrivèrent en mai 1899, près de trois années après leur départ de Loango. Malgré l'humiliation de Fachoda, Marchand était parvenu à relier l'océan Atlantique à la mer Rouge, en traversant le continent africain d'ouest en est! Le 16 mai, il s'embarqua pour Marseille. En France, il reçut partout un accueil triomphal, en particulier à Paris, lors du défilé du 14 juillet 1899.
À Fachoda, la France et le Royaume-Uni ont frôlé la guerre. La « reculade » française a cependant permis la consolidation de l'alliance entre les deux pays, qui fut concrétisée, le 8 avril 1904, par un traité qui scellait l' « Entente Cordiale ». La France put alors imposer son protectorat au Maroc, au grand dam de l'Allemagne mais avec l'accord tacite de Londres. Encore plus important, la résolution pacifique de la crise de Fachoda fit que la France et la Grande Bretagne affrontèrent ensemble les deux empires d'Europe centrale durant la Première Guerre Mondiale. Cela n'eut sans doute pas été le cas si les deux pays s'étaient combattus à Fachoda... Cette petite bourgade sud soudanaise a changé le cours de l'histoire européenne et mondiale. En perdant Fachoda, la France a sans doute réussi à récupérer ... Strasbourg! Il convient cependant d'ajouter que le sort de Fachoda fut décidé à Londres et à Paris, sans que l'on ait songé à demander leur avis aux braves Shilluk. Mais c'est comme cela que se traitaient les affaires africaines, à l'époque!
En 1989, je fus envoyé au Soudan par le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies. Mon rôle consistait à surveiller l'acheminement de l'aide alimentaire vers le sud, à bord de camions, d'avions cargo et de barges fluviales. Lors de l'une de ces missions de surveillance, je m'embarquais à bord d'un « pousseur » de barges à Kosti, ville située au bord du Nil blanc, au sud de Khartoum. Avec quelques collègues, nous devions accompagner un véritable train fluvial, constitué d'une vingtaine de barges lourdement chargées, poussées par plusieurs puissants remorqueurs. C'est à bord de l'un d'eux que je devais effectuer une inoubliable « croisière » humanitaire de trois semaines. Notre destination finale était Malakal, la principale ville du Haut-Nil, au Sud Soudan. Notre convoi remontait le cours du Nil avec une extrême lenteur. Le paysage était monotone, le fleuve traversant une morne plaine sans fin. La vie à bord était tout aussi monotone. Nous devions partager un espace très restreint, avec mes collègues et l'équipage constitué de marins Nord Soudanais. Nous vivions dans une vaste pièce, sur le pont supérieur du remorqueur. Cette pièce nous servait de dortoir, de salle à manger et de salle de séjour. Elle servait également de salle prière à l'équipage musulman. Du toit couvrant notre pièce, endroit le plus élevé de l'embarcation, un moussaillon servant de muezzin appelait à la prière cinq fois par jour, nous réveillant ainsi brutalement, à l'aube. L'horaire de nos repas était toujours déterminé par l'heure de la prière: nous devions en effet libérer la pièce à temps pour permettre aux hommes d'équipage de venir y dérouler leur tapis de prière afin d'accomplir leur devoir religieux.
La monotonie du voyage était rompue par des escales dans des endroits qui semblaient oubliés du monde: Rank, Kaka, Melut... Dans chacun de ces endroits, nous faisions décharger quelques centaines de sacs de sorgho et de bidons d'huile. Ils étaient ensuite stockés sous des tentes-entrepôts, au bord du fleuve. Partout, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants faméliques étaient rassemblés, dans l'attente d'une prochaine distribution de nourriture. Tous étaient des personnes déplacées par l'atroce conflit qui faisait rage depuis 1983, mettant aux prises l'armée du gouvernement de Khartoum à la SPLA, l'armée rebelle des Sudistes, dirigée par le colonel John Garang[11].
Cette lente remontée du Nil me permit de découvrir les Shiluk, dont le commandant Marchand avait rencontré les aïeux, quatre-vingt-onze année plus tôt. Certains voyageaient d'ailleurs avec nous, à bord du remorqueur. Le déclenchement de la guerre, six ans auparavant, les avait surpris à Khartoum, les contraignant à un exil involontaire dans la capitale. Notre convoi onusien représentait dont pour eux une chance inespérée de regagner leur territoire d'origine. Parmi eux se trouvait Charles, un prince shiluk, oncle du roi. Comme la plupart des membres de cette ethnie, il avait un aspect impressionnant, voire surprenant pour un Européen non averti. Charles, la cinquantaine, était un homme au port majestueux. Très grand et très noir de peau, il avait des scarifications en bas du front, juste au dessus des sourcils, caractéristiques de cette tribu. Ces scarifications sont infligées aux jeunes Shiluk lors de l'initiation, à l'adolescence. A l'aide d'un hameçon ou d'une pointe de flèche, on soulève vers le haut des morceau de chair, à intervalle régulier, formant une ligne horizontale. Une fois cela fait, on glisse un petit morceau de bois en dessous la peau soulevée, afin qu'en cicatrisant des sortes de petites protubérances effilées et dures sortent horizontalement du bas du front, comme autant de petites cornes. Chez certains, ces protubérances ne dépassent pas trop. Chez Charles, elles étaient presque effrayantes tant elles étaient longues! J'éprouvais même des difficultés à soutenir son regard, lorsque je lui faisais face.
Les populations déplacées et affamées que nous rencontrions lors de nos escales étaient aussi shilluk. Nous pouvions également apercevoir de nombreux bergers shiluk sur les rives, lors de notre remontée du fleuve. Tous grands et longilignes, vêtus d'une sorte d'ample toge nouée sur l'épaule, souvent appuyés à une longue lance, regardant notre convoi fluvial passer, impassibles. Les Shiluk, comme leur cousins nilotiques dinka et nuer, sont des pasteurs. Leur société est basée sur l'élevage des bovins, et leur alimentation est en grande partie constituée de lait. Cependant, ce qui les distingue de leurs voisins, hormis leur scarifications originales, c'est leur organisation politique. Alors que les Dinka et les Nuer sont organisés en clans qui parfois s'affrontent pour des questions de vaches, les Shiluk ont une très ancienne institution monarchique, facteur d'unité. On l'a vu, en 1898, Jean-Baptiste Marchand avait rencontré leur roi, avec lequel il avait négocié un traité de protectorat au nom de la France. Lors de ma croisière de 1989, les Shiluk avaient encore un roi, dont le pouvoir et l'influence, tant politique que spirituelle, étaient loin d'être négligeable. D'ailleurs, tant le pouvoir de Khartoum que la SPLA cherchaient à le courtiser, afin de l'avoir de leur côté dans la guerre qu'ils se livraient. Cependant, le roi restait sagement à l'écart du sanglant conflit qui ravageait les terres de son royaume.
Certains des endroits où nous accostions étaient contrôlés par l'armée gouvernementale. D'autres l'étaient par la SPLA. Je me souviens d'un incident tragicomique qui faillit mal tourner, lors de notre première étape en territoire rebelle. Depuis notre départ de Kosti, notre convoi fluvial arborait des drapeaux soudanais et onusiens. J'avais conseillé à Raymond, le responsable libanais de notre équipe, de faire enlever le pavillon soudanais, arguant qu'il s'agissait de celui du gouvernement de Khartoum, qui était combattu par la SPLA. Raymond ne voulut rien entendre, affirmant que les rebelles étaient eux aussi des Soudanais. Nous arrivâmes à Kaka au milieu de la nuit. À l'aube, en sortant sur le pont du remorqueur, j'aperçus sur la rive des dizaines de soldats rebelles en armes, certains portant même des lance-roquettes. Tous fixaient nos embarcations avec des regards hostiles. Parmi eux, je vis un homme de haute taille, plus âgé que les autres et vêtu d'un uniforme de colonel. Je débarquais aussitôt et je me dirigeais vers lui pour le saluer. Répondant à peine à mes salutations, il m'apostropha durement en ces termes: « Vous vous dites nos amis, pourtant vous arrivez chez nous avec le drapeau de notre ennemi! » Je m'empressais de lui expliquer qu'il s'agissait d'un simple malentendu, que nous ignorions que la SPLA avait un drapeau différent, et je l'invitais à monter à bord pour qu'il puisse s'expliquer avec Raymond. Ce dernier se confondit en salutations et en excuses interminables, en arabe, et nous prîmes ensemble le thé brûlant et très sucré qu'affectionnent tant les Soudanais, qu'ils soient du nord ou du sud. Ce breuvage acheva de détendre l'atmosphère et, alors qu'il quittait le remorqueur, le colonel rebelle put constater avec satisfaction que plus aucun drapeau soudanais n'était visible! Voilà à quoi tient le succès – ou l'échec – d'une opération humanitaire onusienne!
Un peu plus tard, nous devions faire escale à Kodok, où un petit fort était tenu par l'armée gouvernementale. Là, je bus encore du thé brûlant et horriblement sucré, cette fois-là avec un colonel nord soudanais. Ce petit fort n'était autre que celui du commandant Marchand, Kodok étant le nom actuel de Fachoda!
Tout cela me revenait à l'esprit, alors que je contemplais cette inscription, à l'entrée d'un pont sur la Saône, bien loin du Nil, en ce brumeux matin d'octobre 2009, à Lyon! Qui se souvient encore de Fachoda, aujourd'hui? Qui se rappelle encore cette confrontation qui faillit tourner au drame entre le général Kitchener et le capitaine Marchand? Tous ces évènements n'ont-ils pas été enfouis au fond des poubelles de l'Histoire? En cela, la présence de cette poubelle municipale masquant l'inscription me semblait être lourdement symbolique. Mais ce symbole devait très certainement échapper tant aux édiles qu'aux passants lyonnais!
© Hervé Cheuzeville
(02.11.09)
[1] Officier britannique (1850-1916), engagé volontaire à l'âge de 20 ans dans l'armée de Napoléon III durant la guerre franco-prussienne, puis dans l'armée britannique au Moyen-Orient, puis en Afrique du Sud (durant la guerre des Boers), et aux Indes. Maréchal, il fut ministre de la guerre de 1914 à 1916. Il trouva la mort en 1916 lors du naufrage du HMS Hampshire qui avait heurté une mine allemande.
[2] Officier français né à Thoissey (Ain) en 1863 et mort à Paris en 1934. Lieutenant en 1890 lors de la conquête de la Guinée, capitaine en 1892, commandant en 1898, lieutenant-colonel en 1900, il participa, jusqu'en 1902, à la campagne contre la révolte des Boxers, en Chine. Colonel en 1902, il quitta l'armée en 1904 et fut élu conseiller général du canton de Sumène (Gard) de 1913 à 1925. Il rejoignit l'armée au déclenchement de la première Guerre Mondiale, durant laquelle il fut plusieurs fois grièvement blessé. Nommé général de brigade en 1915, puis général de division en 1917, il interdit le passage de la Marne aux Allemands à Château-Thierry en 1918. Il quitta l'armée définitivement en 1919.
[3] Général français, Louis Faidherbe est né à Lille en 1818 et mort à Paris en 1889. Il devint gouverneur général du Sénégal en 1854 et jeta les bases de la future Afrique Occidentale Française.
[4] Explorateur français d'origine italienne né à Castelgandolfo en 1852. Il parcourut les actuels Gabon et Congo. Il mourut à Dakar en 1905. Il navigua sur le fleuve Ogooué et atteignit le fleuve Congo en 1880. Il conclut un traité de protectorat avec le Makoko (roi) des Téké, fonda un établissement français à Nkuna (la future Brazzaville) et devint commissaire général du Congo français en 1885. Son action ouvrit la voie à la création de l'Afrique Équatoriale Française
[5] Explorateur français né à Dinan en 1847 et mort à Thourie en 1925. Il remonta le fleuve Mékong et devint le premier vice-consul de France à Luang Phrabang en 1886, ouvrant la voie à la création du protectorat du Laos.
[6] Général français né à Sarrebourg en 1866 et mort à Paris en 1925.
[7] Médecin et officier français né à Olmeto, dans l'actuel département de Corse-du-Sud, en 1866, mort à Paris en 1944. Il servit en Afrique, où il lutta contre la fièvre jaune, et en Chine. Il fut directeur de l'hôpital de Dakar de 1909 à 1911. Il devin médecin général durant la Première Guerre Mondiale. De 1919 à 1923 il servit au Levant, avant de devenir directeur du service de santé de l'armée coloniale. Il entra à l'Académie des Sciences Coloniales en 1920, dont il devint le président en 1938. Il a publié de nombreuses études médicales, dont « Mission Marchand: Journal de route du Dr J. Emily », publié en 1913.
[8] « rivière des gazelles », en arabe.
[9] Le Nil Blanc et le Nil Bleu se rejoignent à Khartoum. Le Nil Bleu arrive des hauts-plateaux éthiopiens, alors que les eaux du lac Victoria se déversent dans le Nil Victoria, près de Jinja, en Ouganda. Certains géographes situent même sa source beaucoup plus au sud, en considérant que la Kagera, qui prend sa source au Burundi et qui est l'affluent le plus méridional du lac Victoria, est en fait le cours antérieur du Nil Blanc. Le Nil Victoria aboutit dans le lac Albert. La rivière Semliki, qui reçoit les eaux de la fonte des glaciers et des neiges du majestueux massif du Ruwenzori, se jette également dans ce lac, d'où sort le Nil Blanc. Ce dernier perd ensuite une grande partie de ses eaux lors de la traversée du Sudd, du fait de l'évaporation. C'est pourquoi, au confluent de Khartoum, le Nil Bleu, pourtant beaucoup plus court que le Nil Blanc, apporte beaucoup plus d'eau que ce dernier.
[10] L'ambassadeur de France à Londres était le baron Alphonse Chodron de Courcel (1835-1919). Auparavant, il avait été ambassadeur en Allemagne et avait représenté la France à la Conférence de Berlin (1884-1885) qui devait sceller le partage de l'Afrique entre les puissances européennes. Il est l'arrière grand-oncle de Bernadette Chodron de Courcel, épouse de l'ancien président français, Jacques Chirac.
[11] John Garang (1945-2005), officier soudanais d'origine dinka. Il mena la rébellion sud soudanaise jusqu'aux accords de paix de Nairobi (janvier 2005). L'armée rebelle, l'Armée Populaire de libération du Soudan (SPLA), a donné naissance au Mouvement Populaire de Libération du Soudan (SPLM), aujourd'hui au pouvoir au Sud Soudan, dans le cadre des accords de paix de Nairobi qui accordent une large autonomie au Sud. Un référendum d'autodétermination prévu pour 2011 devrait permettre aux Sud Soudanais de choisir entre demeurer soudanais et devenir indépendants. Pour en savoir plus sur John Garang, lire mon précédent livre, « Chroniques de Guerres et d'Espérance », (Éditions Persée en 2006). dans lequel j'ai consacré un chapitre au leader sud soudanais.